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Transcription écrite du podcast :
Salut tout le monde ! Pour ce 47e podcast, je vous propose de parler de différentes formes de méta design.
Qu’est-ce que le méta design ? Ça peut renvoyer à vraiment beaucoup de choses, mais le qualificatif « méta » consiste en général à appliquer un principe ou un processus, sur lui-même. Une application d’un principe sur ce principe. Une application d’un processus sur ce processus.
Qu’est-ce que ça donne si on applique cette réflexion sur une démarche en UX Design ?
Le UX design, un domaine de travail consistant à oeuvrer pour l’adaptation d’outils à ses utilisateurs et utilisatrices.
Si on applique ce principe à lui-même, ça donne quoi ?
Qui sont les utilisateurs et utilisatrices d’une interface numérique ?
Ce sont les gens qui vont poser leurs petits doigts crochus sur les périphériques de contrôles pour jouer, pour manipuler vos interfaces : clavier, souris, écrans tactiles, manettes de jeux, capteurs divers et variés, reconnaissance vocale...
Peu importe. Vos utilisateurs et utilisatrices… ce sont ceux et celles qui vont utiliser votre outil.
Ça coule de source.
Les aider efficacement, ça peut-être moins facile à faire qu’à dire, mais au moins, pour le moment, le propos d’ une démarche en UX Design, c’est assez clair.
Bon, très bien. Maintenant, montons d’un cran et appliquons cette réflexion à elle-même.
Qui sont les utilisateurs et utilisatrices, non plus de l’outil qui doit être conçu dans votre équipe, mais plutôt les utilisateurs et utilisatrices d’une démarche en UX Design.
Je repose la question ?
Qui sont les gens qui veulent non pas utiliser votre interface mais vous utiliser vous ?
Autrement dit : qui sont vos chefs et cheffes d’équipe, vos collaborateurs et collaboratrices, vos collègues qui ont besoin de l’interface que vous représentez ?
Car oui, vous êtes bien une interface.
Les gens qui recourent à vos services ne le font pas pour votre apparence physique, mais pour les compétences que vous pouvez leur apporter.
On est d’accord, rien d’invraisemblable là-dedans…
Mais pour accéder à ces connaissances, ils et elles doivent vous parler, vous communiquer des informations, chercher à vous orienter pour obtenir les bonnes réponses.
Vous êtes une interface.
Pour faire un travail qui soit satisfaisant vis-à-vis de vos collègues, vous devez être en mesure de réagir avec les mêmes critères de qualité que ceux que vous appliquez au quotidien sur les outils que vous devez contribuer à améliorer.
Si on opère ce glissement et que l’on réalise que d’une certaine façon, nous constituons nous-mêmes une interface vis-à-vis de nos collaborateurs et collaboratrices qui ont besoin de nos services pour faciliter leur travail, nous pouvons appliquer les principes de conception… à nous même ?! Et pas seulement aux outils qui nous tombent entre les mains ?
Je vous propose de partir sur ce petit exercice de pensée en prenant comme grille d’analyse de départ les fameuses dix heuristiques de Jacob Nielsen.
C’est parti !
1 - L’état du système doit être visible :
Votre état, en temps que système, doit-être visible pour vos collaborateurs et collaboratrices.
Votre disponibilité doit-être clairement indiquée. Le périphérique de votre mandat doit l’être aussi de façon à ce que les différents collaborateurs et collaboratrices sachent ce sur quoi, ils et elles peuvent venir vous solliciter. Certaines demandes peuvent être hors sujet. Vous devez informer vos équipiers et équipières de ce sur quoi vous travaillez et de ce, sur quoi vous avez et allez travailler.
C’est l’heuristique la plus importante. Votre transparence devrait donc l’être tout autant. À ce sujet, je vous recommande d’écouter ou réécouter le podcast #28 sur l’effet tunnel.
Voyons l’heuristique suivante.
2 - Correspondance entre le système et le monde réel :
En UX design, il y a beaucoup de termes de jargon.
Que ce soit pour décrire des éléments d’une interface.
Un simple champ de texte peut se décomposer en Label, top, bottom, left and right, padding, border radius, leading icon, validation message, input text...
Je suis parti sur les termes anglais usuels, les traductions françaises sont moins fréquentes. On parle donc d’étiquette, d’espacement haut, bas, gauche et droite, d’arrondi des angles, d’icône de tête, d’icône de queue, du retour de validation et du message saisissable.
Le texte lui-même peut se décomposer en de nombreuses caractéristiques.
Taille, en pixel ou en point, espacement interligne, police, style, espacement intercaractères, orientation, alignement vertical, alignement horizontal… avec ou sans casse, en majuscule ou minuscules ou juste avec une majuscule en début de mot ou juste en début de phrase. Selon quelle couleur ? Sur quel fond ? Pour quel ratio de lisibilité, selon quels critères ?
Bon, vous avez compris, chaque élément d’une interface ouvre sur plein de petites dénominations bien pratiques pour pouvoir nommer les choses et ainsi plus facilement les manipuler et jouer avec.
Très bien... Mais il ne s’agit pas juste de pouvoir nommer les choses. Il faut pouvoir comprendre aussi pourquoi tel type d’agencement fonctionne et tel autre ne fonctionne pas. Ou beaucoup moins.
Et là, on arrive sur un autre type de jargon, qui renvoie à des connaissances en psychologie cognitive ou sociale ( voir les podcasts #9, 10, 11 et 12, sur les théories cognitives ) :
La loi de Fitts, les principes de la Gestalt, l’effet Hawthorne, les principes de mémorisation, l'effet de primauté, de recense, le principe d’empan mnésique,
les habitudes de lecture, les contraintes nuisant à la lecture, le principe d’affordance. Et beaucoup d’autres...
Tous ces termes renvoient non plus à des éléments identifiables sur un écran, mais à des notions théoriques tentant d’expliquer pourquoi certains agencements d’informations fonctionnent et d’autres pas.
Tous ces termes servent à mieux décrire les informations, les manipuler, les communiquer… mais leur usage, leur impact dépend aussi du temps qu’on vos interlocuteurs et interlocutrices…
Si vous sortez les termes savants, les plus hardcores, pour décrire un problème, vous ne serez pas clair, au contraire : votre recherche de précision pourra vous faire passer pour une personne complètement déconnectée. Passer l’étape éphémère d’émerveillement sur votre capacité à décrire des problèmes en des termes savants, votre discours pourra sembler fumeux, abscons et globalement inadapté.
Chacun et chacune de vos interlocuteurs et interlocutrices baigne dans son propre environnement linguistique.
Le vôtre n’est pas meilleur que les leurs. Le vôtre est juste plus adapté à décrire certaines problématiques que vous pourriez rencontrer. Mais là, comme pour une bonne interface numérique classique, ce n’est pas à vos utilisateurs et utilisatrices de s’adapter à votre niveau de langage, c’est à vous de vous adapter au leur. Et ça ne veut pas dire « simplifier votre discours ». Ça veut dire aller à la recherche de correspondance entre leurs dénominations et les vôtres pour parler selon un langage commun qui soit plus adapté à un échange assez fluide et surtout rapide.
C’est à vous de faire l’effort. Pas à eux et elles.
3 - Contrôle de l’utilisateur ou de l'utilisatrice et liberté :
Le système doit être obéissant.
J’aime beaucoup celle-ci, car c’est un principe sur lequel je travaille actuellement.
Souvent à travailler sur l’outil que vous devez contribuer à améliorer, vous tomber sur une recette d’amélioration qui fait comme un déclic et qui semble solutionner une grande partie des problèmes principaux. J’adore ce genre de moment : c’est comme trouver la solution d’un casse-tête et de voir qu’ensuite, les différentes manipulations s’enchaînent toutes naturellement pour constituer un ensemble harmonieux, simple, élégant. C’est hyper satisfaisant.
J’ai appris à me méfier de ce genre de moment, car et bien… cette solution, c’est à ce moment-là, VOTRE solution. Or, pour vos collaborateurs et collaboratrices, il s’agit aussi de les aider à trouver une solution qui soit à leur goût à eux… pas seulement à votre goût à vous.
Une fois que vous avez trouvé votre solution, il commence à se mettre en place, un gros problème avec le métier de UX Designer : vous devenez auteur et auteure de quelque chose, là où le propos premier de votre travail, c’est de bonifier le travail des autres auteurs et auteures de votre équipe.
Dès l’instant que vous arrivez avec votre solution, vous risquez de vous placer en concurrence, en mettant votre vision en opposition avec la vision des autres.
Je vous propose donc une petite posture intellectuelle qui peut vous aider à vous faire gagner du temps, à faire gagner du temps à vos collègues, à tout le monde, pour désamorcer très rapidement ce début de conflit : « votre vision » versus la vision de vos collaborateurs et collaboratrices.
Pour faire court, votre vision de UX designer, c’est de la merde. La mienne aussi ! C’est de la merde.
En général, ce type de sentence, ça passe mieux quand c’est un minimum argumenté.
Premier argument : il n’existe pas de solution unique pour les problèmes que vous abordez. Votre solution n’est donc pas la seule à considérer. Il y a d’autres approches.
Second argument : il n’existe pas de solution parfaite. Chaque approche à ses contreparties. Votre solution n’étant ni unique ni parfaite, d’autres compromis sont probablement valables et certaines sont meilleures.
Troisième argument : Même la meilleure des solutions que vous puissiez imaginer actuellement paraîtra désuète et maladroite avec le temps passant. Imaginez votre travail revu par un et une spécialiste dans 50 ans. Si vous vous en tirez bien, il pourra y avoir une patte vintage, une esthétique ancrée dans une époque qui conservera sa personnalité et sa beauté avec le temps. Mais sur le sujet de l’utilisabilité, du confort de manipulation… Laissez passer les années et vos trouvailles vont prendre des coups de vieux assez violents.
Donc, restez humble. Le « Eurêka ! » que vous pourriez avoir ne doit pas vous faire partir en croisade pour imposer votre vision au détriment des besoins et réserves exprimés par vos collaborateurs.
En d’autres termes : restez flexibles, ajuster votre discours. Votre solution miracle peut et doit solutionner un bon nombre de problèmes. Elle doit être mieux que ce qu’il y avait avant votre intervention. Mais cette amélioration, vers du mieux, ne veut pas dire que ce que vous proposez est ce qu’il y a de mieux.
Faites au mieux évidemment, mais restez flexibles. Soyez à l’écoute de vos collaborateurs et collaboratrices.
Permettez-leur de vous recadrer, permettez-leur de contrôler votre flux de travail, de le diriger vers les préoccupations les plus pressantes pour eux et elles, qui ne sont peut-être pas celles que vous aviez imaginées quelques jours auparavant.
Quatrième critère : Consistance et étalon.
Essayez d’être constant dans votre travail et dans vos relations avec vos partenaires pour qu’il soit plus facile et agréable d’interagir avec vous.
Bon… on pourrait poursuivre ainsi sur toutes les autres heuristiques, mais ça va devenir ronflant comme exposé. Je préfère élargir un peu le propos.
Pour moi, cette réflexion de métadesign, elle est super importante.
Comment allez-vous gérer votre relation avec vos différents collaborateurs et collaboratrices pour vous mettre plus facilement à leur service, mais avec l’objectif final de ne pas dévier de votre mission consistant à oeuvrer pour l’intérêt des utilisateurs et utilisatrices de l’outil.
Et là, ça devient sportif, car l’intérêt de certains et certaines de vos collaborateurs et collaboratrices n’est pas de servir au mieux les intérêts des utilisateurs et utilisatrices de l’outil. La bonification de l’outil pour ses utilisateurs et utilisatrices coûte cher.
Vos collaborateurs et collaboratrices vont avoir le souci d’être… rentables. Cher monde capitalisme merveilleux, comment dégager un maximum de profit pour un minimum de coût. Le plaisir des utilisateurs et utilisatrices, c’est un coût.
Vous devez transformer ce coût comme une source de profit, souvent pouvant vous mettre à un peu plus long terme.
Là, vous jouez sur des échéanciers et des stratégies de distribution dont certains facteurs risquent de vous échapper. Ça peut-être facile de déraper ici et d’adopter un discours qui semblera trop simpliste ou bien à côté de la réalité économique de l’industrie qui vous emploie.
Prudence donc quand vous voulez transformer un coût en gain. Dans la logique, je suis d’accord, mais pour convaincre, ben… ça peut-être un peu chaud.
Pour finir, une petite question que je me posais il y a quelques années.
Quelle est la compétence la plus importante dans un projet informatique ?
Pendant longtemps, j’ai cru que c’était le programmeur ou la programmeuse.
Je pensais qu’un projet informatique sans programmeur ou programmeuse, ça n’avait pas de sens, car… ça n’existe pas.
Mais un projet parfait codé par une équipe de programmeurs et programmeuse parfaite et bien… ça n’existe pas non plus.De plusieurs points de vue...
Bon, la première réserve, ce serait de dire que le parfait n’existe pas. Je le disais tout à l’heure. Ok… mais ce ne n’est pas là que je veux vous amener.
Plutôt que de parler de projet parfait, imaginons plutôt un projet excellent.
Imaginons un projet excellent, conçu par une équipe de développeurs et de développeuses excellents. C’est envisageable. Et bien ce type de projet peut, ne pas exister. Pour vous. Je veux dire, le projet peut-être là, finalisé dans son coin. Mais il ne vous est pas accessible. Vous ne connaissez pas son existence. Vous ne savez pas que ce projet existe. Personne ne vous a communiqué son existence. Dans votre réalité, ce projet n’existe pas.
Maintenant, imaginez un projet informatique, qui ne repose sur aucun programmeur ou programmeuse, mais qui dispose d’une équipe de communicants et communicantes tous excellents. Le projet informatique n’a aucune réalité physique, car il n’est conçu par personne. Mais en même temps, ce projet informatique existe dans la tête des partenaires, des investisseurs et investisseuses et dans celle de nombreuses autres personnes parce que les communicants et communicantes réussissent à implanter l’existence de ce projet dans la tête des gens.
Et si assez de personnes croient en la réalité de ce projet et bien lui donner vraiment forme, ça devient non pas forcément une formalité, mais au moins une possibilité.
Donc, entre un projet qui existe dans l’espace physique, mais qui n’existe pas dans la tête des gens et un projet qui n’existe pas dans l’espace physique, MAIS, qui existe dans la tête des gens, c’est-à-dire finalement, là où ça compte vraiment… et bien… choisissez la seconde option.
Un ou une UX designer se plante quand il ou elle décroche et passe trop de temps à concevoir une idée comme un objet à matérialiser dans un espace physique : un prototype, un document.
C’est d’autant plus absurde que ce travail n’est qu’une étape, une projection concrète d’une réflexion, mais sans pouvoir prétendre à se substituer à l’objet final, l’outil qui doit être lui codé par les développeurs et développeuses.
Donc, le propos UX, c’est d’amener le projet dans la tête des gens. Ce projet, il existe déjà dans la tête d’autres gens, sous plein de formes. N’allez pas en créer un nouveau qui viendra augmenter la cacophonie cognitive. Aidez plutôt vos collaborateurs et collaboratrices à exprimer leurs idées. Et à les bonifier. Soyez à leur service.
Votre travail ne se passe pas seulement sur votre outil de prototypage.
Il se passe dans votre relation avec vos collaborateurs et collaboratrices et sur la façon dont vous pouvez bonifier la relation entre certains de vos collaborateurs et collaboratrices.
Il y a là une partie encore plus intéressante de design.
Pour moi, une partie de ce que j’appelle méta design, c’est ça. Soyez vous-même, vis-à-vis de vos collaborateurs et collaboratrices, l’interface que vous aimeriez contribuer à améliorer.
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Théories psychologiques :
Transcription et édition du podcast : Stéphanie Akré
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